à 7h35, Odille Courage, fonctionnaire du Trésor Public habitant dans un appartement du 28 rue Jean Poulain du village de la Chapelle Rainssouint, faisait exactement la même chose de Fanta Sow, Sénégalaise d'1 m 81, femme de Mamadou Lamine Sow, homme de loi, vivant sur l'avenue Cheikh Anta Diop,

Ce jour bien précis, Zineb Cheiri, enfant de Casablanca, déchaussait ses babouches en soie jaune, pour pénétrer dans le grand habitacle carrelé d'usage hygiénique, à 9h24, et Mlle Xio fhu de sa lointaine contrée chinoise faisait couler à flot l'eau chaude expulsée en jets massants sur sa petite nuque tourmentée par l'immobilisme prolongé de sa tête sensiblement penchée sur les plaquettes de verre, dans son laboratoire pharmaceutique.

La jolie Coralie, après avoir été compressée comme une sardine, dans le wagon du métro 7, montait les marches 4 à 4, qui menaient à son appartement décent du quartier nord de Brooklyn, avec une seule envie pressante: prendre une bonne douche bien chaude et jouir du nouveau jet multifonctionnel acheté la veille à
Bed Bath and Beyond.

Il arriva à un moment bien précis ce qui arriva bien précisémment.


Une chose tridimensionnelle d'aspect nacré, ostentatoirement baptisée Palmolive - prénom Tahiti - nom de famille, expulsa sans décence et sous la pression d'un pouce, à la vue d'une matière humaine culturellement divisée mais organiquement similaire, un gel blanc crémeux émettant un parfum de synthèse exquisitement délicieux.

Elles fermèrent toutes les yeux.

Au contact de la pluie et au massage circulaire, le gel s'émoussa avec la légèreté d'un blanc d'oeuf et la douceur d'un fil de soie. Ou le contraire.

Le plaisir fut bref mais efficace. Onze minute pour la Métropolitaine française, treize pour la Sénégalaise, vingt et vingt-cinq minutes pour la Chinoise et la New Yorkaise, qui firent de la mousse visqueuse, un savon de rasage hydratant.

La sensualité du devoir de propreté hygiénique et de l'odorat qui ne fleurit pas derrière des murs en brique, représentent-ils des douceurs catégoriques de ma civilisation ancestrale?

Comment se fait-il que les plus grandes célébrations du nom de cette île, nous glissent entre les doigts comme des savons mesquins qui sautent quand on en a besoin?

C'est vrai que la propreté, c'est important pour le Polynésien. Mais au point d'en faire une légende hygiénique, ne serait-ce pas un peu zinzin?

Surtout que ces gels douches, ils n'ont jamais vu le jour sur l'île.

Tout ce qui est lucratif nous glisse entre les mains comme des morceaux de savons.

Je n'ai rien contre les gels douche TAHITI; bien au contraire. Ma tendre enfance, recouverte de grisaille mayennaise, recevait plein de ces raclées soyeuses de TAHITI DOUCHE. Ma mère, désespéremment languissante de son pays, les achetait à gogo, nous avons eu toute la collection et selon l'humeur variait la couleur du petit cube en plastique. A chaque douche, le mot TAHITI était sous mes yeux, susurrant crémeusement:

"- Prend ta douche avec moi petite fille et sois fière de ton Fenua, regarde un peu: y a-t-il un gel douche au nom de "Fort de France"? Non!, un gel douche au nom de "Dakar"? Non!, un gel douche au nom de "Vichy"? Non! Qui peut se vanter, d'avoir un pays dont le nom est universellement attitré à la matière visqueuse ultra protectrice et hydratante, qui conservera et abreuvera la couleur de ta peau caca mouche? Toi. Bonne raison pour se laver, n'est-ce pas?"

Le parfum sucré ou fleurit s'échappait en vapeur, lorsque j'ouvrais la porte de la salle de bain et les pieds nus sur le carrelage, dans mon pijama de coton, je filais m'assoir sur le rocking-chair et les jambes relevées sur la poutre de la cheminée; je cherchais la chaleur de mon pays sous les crépitements des brindilles.

Dans la grande surface, il y avait tous ces savons liquides, rigides au garde à vous, étalés sans dépasser d'un poil. Tout un rayon multicolore TAHITI DOUCHE amande, jasmin, pour hommes, à la rose, au santal, à la pomme, fraîcheur des mers du sud.

Et puis, "bummer" comme qui dirait ma copine. Tout au bout il y avait Ushuaia!

Ushuaia, Ushuaia, qui connaît Ushuaia? à part Nicolas Hulot et Diego, mon ami italien.

C'est vrai qu'Ushuaia, c'est beau à la télé. Immense et frais, m'a dit Diego. Le bout du monde et pas d'humains, c'est là le charme. Ecosystème idyllique, pureté de l'eau, chlorophylle et baleine; c'est top.

Je n'irai pas jusqu'à faire la révolution parce que des mots comme "TAHITI" ou "Maohi" sont devenus lucratifs et labels de savons, de téléphones, d'ice cream, de magasins zin de meubles divers.

Mon pays dans un gel douche, ça fait partie de la culture des choses. On ne va pas refaire l'histoire pour un savon, de toute façon.








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