;;;Il naquit le 27 juin 2027 d’une mère au visage immaculé de poupée porcelaine, jeune femme déflorée comme une fleur impudique telle un hibiscus rouge orangé, flora tropicalès ostentatoire, qui projette cet épis granuleux, petit phallus végétal reposant pas très courageux, aux traînées de semences colorantes jaunâtres, à qui embrasse la Tahitienne de trop près sur la joue.

 

On le fit sortir, à l’aide de forceps, du ventre marbré blanc cassé d’une maman plus croyante qu'athée, selon les flux des marées, lesbienne et hétérosexuelle, généreuse et radine à la fois, ayant toute la jambe gauche tatouée jusqu’à mi-cuisse, deux margouillats face à face en position d’attaque au-dessus de ses seins et un poème de Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun, penseur du début du siècle, gravé sur le côté droit de son dos, coulant comme une rivière fluette de son épaule jusqu’à la naissance de sa hanche, Ceci n’est pas un Pays, c’est une terre ma’ohi.

 

Car Marie-Agathe Tupa vénérait les poètes de son île, persuadée que le Metua guide serait un poète homme ou femme de savoir, car c’était bien deux poètes qui avaient redonné la dignité à tout le peuple noir en faisant d’un vilain mot porteur de honte et de douleur « Nègre », un mouvement noble, fier, émouvant, affectionné, « la Négritude ». Ayant perdu tous ses recueils de poésie dans l’ère présorcière, elle fit inscrire ce poème sur sa peau : ainsi il ne disparaîtrait qu’avec elle.  L’ironie fut que le destin la foudroya d’un cancer de l’épiderme alors que Jaco Tupa était au sommet de sa gloire, vingt-cinq ans plus tard. Destin funeste qui s’en prit à la peau de Marie-Agathe, une peau qui racontait tant de choses.

 

Pour Jaco Tupa, le corps de sa mère fut une terre à lui seul. Il crut même toute sa vie, que le poème était une métaphore dédiée au corps maternel.  Elle ne fit jamais rien pour l’en dissuader, son fils étant le seul être humain auquel elle fut profondément attachée, ayant découvert que le don de soi pouvait être autre chose que sacrificiel.

 

Elle avait les mollets bas et l’haleine fraîche ; îlienne sans homme ni femme ni bête pour l’accompagner dans sa vie terrestre, elle errait constamment dans la précarité.

 

Parfois vendeuse de poulets broche, debout, portant un tablier blanc dessus quelque tee shirt multicolore ventant les mérites d’un parti quelconque, debout donc dans une roulotte calée sur un bord de route ou parquée dans une rue adjacente au marché de Papeete,  une roulotte baptisée Ma Petite Poulette, qui vendait des poulets sauce créole, des poulets frits, des poulets blancs. Elle portait alors deux tresses qui passaient sous ses oreilles et reposaient sur sa poitrine, du 90 B.

 

Marie-Agathe Tupa subsistait en dents de scie, d’aisance en pauvreté, parfois taille fine parfois surpondérée. Heureuse et dépressive à la fois, haïe ou adorée, mais jamais au milieu. Toute en superficie et toute en profondeur.

 

La génitrice affectueuse, mère porteuse d’un prodigieux fils avait deux valises et elle dormait chez les uns et chez les autres ; elle traversait avec ces gens les tourments désagréables du quotidien ainsi que leurs petits bonheurs silencieux qui pointent dans la routine de façon si discrète qu’on ne les savoure pas à leur juste valeur.

 

Témoin involontaire de scènes de ménage, de réprimandes, de rots ou de pets familiaux, de journaux télévisés imposant le silence complet dans le salon, et de portes de frigidaires qui s’ouvraient et se refermaient, qui s’ouvraient et se refermaient, d’éponges sales qui essuyaient la table, de câlins papa-maman, ou d’enfants tirant un de ses minous par la queue ou l’écartelant comme une poupée pour se distraire. … éprise de liberté, elle se retrouvait face à elle-même, avec plaisir et soulagement dans le vagabondage, dans les nuits chaudes à la belle étoile, entendant le bruit lointain des spacio mobiles, des spacio motos, apercevant, parfois en plein accès de plaisir, quelque crabe fluorescent bleu à quelques pas de ses rêves....

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