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Du lever au coucher du soleil, les corps d’enfants et d’adultes se déplacent, courent, chahutent et travaillent. La nuit, ils se nourrissent du silence ou du chant d’un grillon, des murmures d’une brise, d’un univers nocturne qui reprend ses droits sur la vallée, le temps d’une lune.

La nuit a tiré son rideau d’étoiles. Elle éclaire la vallée de Hamuta en teintes claires obscures. C’est un combat d’ombres et de lumières, les esprits fatigués s’endorment et les âmes vivifiées se libèrent.

Toute la maisonnée est silencieuse. Les parents à l’étage, les enfants au rez-de-chaussée, alités dans la moiteur de la nuit. Certains d’entre eux sifflent en dormant, d’autres s’envolent vers un sommeil profond sans emprunter la passerelle du rêve.

Dans la pénombre de la pièce à dormir, ce box aménagé simplement d’un lit où il dort avec ses deux petits frères, Moana’ura se lève sans bruit, taraudé par l’envie d’uriner. La maison est silencieuse et tout le monde s’est assoupi. Pieds nus, il passe par l’entrée et sort de la maison, il se presse mais ralentit le pas : Il doit passer devant la tombe de son arrière grand-mère, située à quelques mètres.

Il aperçoit Caillou, immense et majestueux roc noir, étendu de tout son long sur la pierre tombale rectangulaire de l’aïeule. Le taureau charismatique le fixe de ses prunelles pétillantes. Dans le clair obscur, la bête est impressionnante, sa présence est énigmatique, son regard et son attitude sont mystiques.

Moana’ura s’immobilise, le temps se noie dans le chant d’un grillon.

Le jeune enfant se situe dans un entre-deux mondes, l’instant est surréel mais il reprend le pas et s'empresse d'aller uriner. Il sait qu’il doit repasser devant Caillou, il n’a pas peur, il s’interroge. Caillou est toujours là, sur la tombe, statique, il est noir et luisant, il l’observe. Moana’ura se hâte alors de rentrer et ferme la porte derrière lui, à la fois excité et angoissé.

Sa mère a entendu du bruit, elle descend les escaliers. Il va vers elle et lui explique en quelques mots la présence de Caillou sur la tombe de l’arrière grand-mère. Dubitative, Mama Pare pense qu’il a du rêver, mais elle sait que c’est trop invraisemblable pour être inventé. Sans attendre, ils ressortent tous deux de la maison. Au seuil de la porte, ils ne voient rien. Elle prend l’initiative d’aller regarder autour de la tombe, pour voir s’il y a des traces de passage du taureau lourd de plus de quatre cents kilos : S’il était allé s’allonger sur la tombe, il aurait laissé des marques de son passage.

Le sable est lisse tout autour de la pierre tombale, aucun animal ni personne n’aurait pu aller à la tombe sans laisser de trace.

Mama Pare se retourne vers son fils, elle ne doute pas une seconde de ce qu’il lui a raconté, parce que cette maison de l’arrière grand-mère est une boîte attrape-temps dans laquelle surgissent parfois des évènements du passé.

Les âmes animales et humaines s’y côtoient au même titre que les gens. Les enfants plus sensibles expérimentent parfois des épisodes étranges qui ne font que pimenter leur quotidien terre à terre et qui leur font prendre conscience qu’un autre monde existe, sur lequel l’homme n’a aucun droit de gouvernance.

C’est le monde des tupuna, des ancêtres : Il résiste aux lois du temps et au réalisme de la matière.

 

Extrait roman biographique "Moana'ura Walker" à paraître.

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